Le décès d’Isabelle Caro bouleverse par l’effroyable solitude qui a broyé cette vie si fragile. Terrifiante anorexie… Isabelle Caro avait parlé, et ses mots font partis de ceux qui marquent, fait pour rester. 
Mais comment ne pas faire le rapprochement… Ce décès est annoncé hier, alors quelques jours plus tôt, la France a été condamnée par la Cour européenne des droits de l’homme, pour traitement inhumain et dégradant, ayant privé de soins à une femme anorexique placée en détention (Affaire Raffay Taddei c. France, 21 décembre 2010, no 36435/07).
Les faits
Virginie Raffray Taddei est une française, née en 1962, qui purge différentes peines correctionnelles prononcées entre 1997 et 2007 pour des atteintes aux biens : abus de confiance, falsification de chèques et usage, recel, ou vol. Les problèmes de santé ont été incessants, et graves. La lecture de l’arrêt retrace toutes les étapes de cette prise en charge, les attentes, les expertises…
Virginie est d’abord atteinte de problèmes respiratoires. Pour cela, elle a été hospitalisée à plusieurs reprises et a bénéficié d’un suivi médical régulier.
Concernant l’anorexie, le bilan est accablant. Virginie est passée de 54 kg en juin 2008 à 35 kg en avril 2009, et elle est tombée à 30/31 kg fin 2010. On arrête et on réfléchit : 30 kg. Oki ? Poursuivons.
Hormis une brève prise en charge à l’hôpital pénitentiaire de Fresnes, elle n’a pas fait l’objet de traitement spécifique malgré les recommandations médicales. Dernière décision de justice, le 19 mai 2010 : la chambre de l’application des peines de la cour d’appel de Lyon a confirmé le refus de libération conditionnelle de Virginie le 19 mai 2010. Son emprisonnement se poursuit sous le régime de détention ordinaire et le Gouvernement est venu préciser à la Cour qu’elle bénéficiait d’une prise en charge médicale et psychologique hebdomadaire. Franchement, ils n'ont pas la honte.
Après l’échec de tous ces recours en droit interne, Virginie a pu atteindre la CEDH, et elle vise une violation de l’article 3 de la Convention, qui prohibe les traitements inhumains et dégradants : la privation de soins, passé un certain degré, tombe sous le coup de l’article 3.
Deux questions successives sont posées :
- Une détenue souffrant de plusieurs maladies, dont l’anorexie, peut-elle être maintenue en détention ?
- Si tel est le cas, la détenue a-t-elle bénéficié de soins appropriés ?
Le maintien en détention
Virginie a demandé à plusieurs reprises à être libérée, mais la loi française pose des critères précis : deux expertises médicales concordantes concluant à l’impossibilité du maintien en détention ou une expertise concluant à une pathologie engageant le pronostic vital. La CEDH observe qu’à aucun moment les conditions n’ont été réunies, et le maintien en détention n’était pas, en soi, contraire à l’article 3. Reste la question des soins apportés pendant cette détention.
Les soins pratiqués
Concernant les problèmes respiratoires, la Cour prend note de l’hospitalisation, des soins et du suivi médical régulier qui ont été fournis à Virginie, en particulier à Fresnes. Il en ressort que le nécessaire a été fait.
Pour ce qui est de l’anorexie, il en va bien autrement.
Virginie a dans un premier temps été prise en charge à l’hôpital pénitentiaire de Fresnes, mais la maladie n’a pas été maîtrisée. Face à cette dénutrition sévère, les médecins ont indiqué en mars-avril 2009 l’urgence d’une réalimentation et préconisé un séjour dans un service spécialisé incluant une psychothérapie pour le traitement du syndrome de Munchausen, qui lui est lié. Or, aucune des mesures préconisées par les médecins n’a été suivie d’effet, déplore la CEDH.
Virginie est retournée en détention ordinaire en juin 2009, à un moment critique de l’évolution de sa maladie, et depuis son état de santé s'est dégradé encore, alors que le médecin qui la suit à Roanne a indiqué « qu’un suivi médical en milieu spécialisé est justifié ».
La Cour relève la discordance entre les soins préconisés par les médecins et les réponses du service pénitentiaire… En particulier, il n’a pas été envisagé un aménagement de peine cherchant à concilier l’intérêt général et l’amélioration de l’état de santé de la requérante.
La CEDH critique les décisions du juge de l’application des peines : « De toute évidence, la recommandation répétée d’une hospitalisation dans un environnement spécialisé n’a pas été prise en compte par le juge, qui s’est borné à retenir que la requérante n’avait pas faits d’efforts sérieux de réadaptation sociale ». Selon la Cour, il s’agit là d’une condition rigoureuse, si l’on tient compte de l’état mental et physique de la requérante et du fait qu’elle a eu pour conséquence l’absence d’examen des possibilités de soins adaptés. Virginie s’est donc vu transférer dans un établissement « dont rien n’indique qu’il dispose des infrastructures nécessaires pour le traitement de sa maladie. »
Qui plus est, poursuit la Cour, ce transfert a eu pour effet de la placer loin de son domicile et de ses enfants, alors que les médecins ont relevé que cet éloignement constituait une souffrance pour elle et une des causes de son anorexie.
En outre, la Cour relève des délais procéduraux longs et inappropriés. Parmi d'autres, Virginie a demandé une demande de suspension de peine en mars 2008 et n’a obtenu une décision définitive sur cette question qu’en octobre 2009.
D’où la conclusion de la Cour : « L’absence de prise en compte suffisante par les autorités nationales de la nécessité d’un suivi spécialisé dans une structure adaptée que requiert l’état de la détenue, conjuguée avec les transferts de l’intéressée – particulièrement vulnérable – et l’incertitude prolongée qui en a résulté quant à sa demande de suspension de peine, ont pu provoquer chez elle une détresse qui a excédé le niveau inévitable de souffrance inhérent à la détention, ce qui constitue un traitement inhumain et dégradant au sens de l’article 3 ».
J'espère seulement que depuis ce 21 décembre, Virginie est enfin soignée au mieux de ce permet la science et de ce qu'oblige l'humanité.