Scoop : Sarkozy serait un homme politique, et il participerait parfois au débat public national. C’est ce que rappelle le Conseil d’Etat dans sa décision du 8 avril 2009 (n° 311136) annulant la décision du CSA qui plaçait le temps d’antenne utilisé par le président de la République en dehors de tout décompte. A l’heure de la répartition du camembert, c’est une très mauvaise nouvelle pour l’UMP qui va se trouver marginalisée à la télé…
Le Conseil d’Etat rappelle d’abord les références constitutionnelles : l’une ancestrale, l’autre récente.
Je sais que ça sourit derrière l’écran quand j’invoque le texte de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen du 26 août 1789. Genre étudiant qui ne grandira jamais, et qui brandit de manière pathétique, les vieux principes de la Révolution. Et bien, je paie ma tournée ! Le Conseil d’Etat commence par la célèbre Déclaration, et son article 11 qui garantit la libre communication des pensées et des opinions. Accrochez vos ceintures : « Le pluralisme des courants de pensée et d’opinion, dont le pluralisme de l’expression politique est une composante, est l’une des conditions de la liberté ainsi garantie et de la démocratie et qu’il constitue en lui-même un objectif de valeur constitutionnelle ». L’Histoire qui tutoie le Droit…
Poursuivons sur les principes, avec la loi constitutionnelle du 23 juillet 2008 : « La loi garantit les expressions pluralistes des opinions et la participation équitable des partis et groupements politiques à la vie démocratique de la Nation. » Laquelle loi fixe les règles concernant la liberté, le pluralisme et l'indépendance des médias. Toujours le même problème : nos charmants élus votent des textes sans en comprendre le sens. J’imagine la rigolade au Conseil d’Etat – si, si, ça arrive ! – en observant qu’il suffit de lire deux articles de la Constitution pour dessouder une décision du Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA).
Le Conseil d’Etat cherche ensuite les références législatives, avec, au hasard, la loi du 30 septembre 1986 « relative à la liberté de communication » et qui a créé notre vaillant CSA. Le genre de loi qu’a priori le CSA devrait connaître. Pas si simple… Le Conseil d’Etat vise l’article 13 qui donne mission au CSA d’assurer « le respect de l'expression pluraliste des courants de pensée et d'opinion dans les programmes des services de radio et de télévision, en particulier pour les émissions d'information politique et générale ». Et le Conseil d’Etat rappelle au CSA qu’aux termes de la loi, il dispose « d’un large pouvoir d’appréciation pour fixer, sous le contrôle du juge de l’excès de pouvoir, les règles propres à assurer une présentation équilibrée de l’ensemble du débat politique national ».
Arrivons au fait, avec notre petit coquin de CSA toujours prêt à protéger celui qui le nomme et le nourrit.
Par une délibération du 8 février 2000, le CSA a sorti sa panoplie de commandeurs de la pensée politique pour énoncer le « principe de référence » sur la manière dont « il entend apprécier le respect, par les services de radio et de télévision, de leurs obligations en matière de pluralisme politique », ce hors campagnes électorales pour lesquelles existe un régime spécial.
Alors, que dit le génial principe ? « Les éditeurs doivent respecter un équilibre entre le temps d'intervention des membres du gouvernement, celui des personnalités appartenant à la majorité parlementaire et celui des personnalités de l'opposition parlementaire, et leur assurer des conditions de programmation comparables. En outre, les éditeurs doivent veiller à assurer un temps d'intervention équitable aux personnalités appartenant à des formations politiques non représentées au Parlement. Sauf exception justifiée par l'actualité, le temps d'intervention des personnalités de l'opposition parlementaire ne peut être inférieur à la moitié du temps d'intervention cumulé des membres du gouvernement et des personnalités de la majorité parlementaire. »
« Membres du gouvernement et des personnalités de la majorité parlementaire…» Et on fait quoi du président de la République et de ses
(omniprésents) collaborateurs ? François Hollande demande au CSA de réparer cet oubli. Circulez il n’y a rien à décompter lui répond le CSA le 3 octobre 2007. Le président et ses zélés sbires sont au-dessus du lot, concentrés sur l’intérêt supérieur du pays, et ne se mêlent jamais des contingences politiques.
Le Conseil d’Etat prépare son Gillette deux lames.
La première est pour redresser le poil.
D’abord, la fonction de chef de l’Etat. « En raison de la place qui, conformément à la tradition républicaine, est celle du chef de l’Etat dans l’organisation constitutionnelle des pouvoirs publics et des missions qui lui sont conférées notamment par l’article 5 de la Constitution, le Président de la République ne s’exprime pas au nom d’un parti ou d’un groupement politique ». Au-dessus des partis (merci de ne pas utiliser le mot au féminin), le chef de l’Etat. Dans ce cadre, « son temps de parole dans les médias audiovisuels n’a pas à être pris en compte ». Ainsi, Sarko faisant la conférence de presse au G20, ou dans un discours officiel.
La seconde lame coupe le poil qui dépasse.
Incroyable mais vrai, il paraîtrait que le chef de l’Etat et sa fine équipe jouent aussi un rôle politique. Etonnant, non ? La CSA n’avait rien vu. Et n’avait pas vu non plus que Guéant ou Guaino parlaient parfois de politique…
Lisons le Conseil d'Etat : « Compte tenu du rôle qu’il assume depuis l’entrée en vigueur de la Constitution du 4 octobre 1958 dans la définition des orientations politiques de la Nation, ses interventions et celles de ses collaborateurs ne peuvent être regardées comme étrangères, par principe et sans aucune distinction selon leur contenu et leur contexte, au débat politique national ». Et donc, il faut en tenir compte pour « établir l’équilibre entre les courants d’opinion politiques, voulu par la constitution et la loi ».
Vient la fessée publique pour le CSA. « Dès lors, le Conseil supérieur de l’audiovisuel ne pouvait, sans méconnaître les normes de valeur constitutionnelle qui s’imposent à lui et la mission que lui a confiée le législateur, exclure toute forme de prise en compte de ces interventions dans l’appréciation du respect du pluralisme politique par les médias audiovisuels ». En langage profane on dit « bonnet d’âne » ; en langage juridique « décision entachée d’erreur de droit ».
La décision du CSA est annulée, et sanctionne suprême, le CSA va devoir trouver une solution. Il va falloir se mettre à réfléchir. Dura lex…
En pratique, il est bien évident que Sarko ne va pas rogner une minute de communication télé. Ce sont donc les petits copains du gouvernement et de l’UMP qui vont devoir serrer leur ceinture médiatique. Un vrai jeu pour Sarko : il suffira qu’il parle politique pour que l’UMP soit réduite au silence. Tout repose sur les épaules d'un seul...
