Après la réprimande la plus célèbre du droit disciplinaire, je veux revenir sur l’affaire et cette décision du CSM, car je lis beaucoup de choses avec lesquelles je suis en désaccord, à commencer par l’analyse de mon excellent, quoique parisien, confrère Maître Eolas. La défense du juge a indiqué former un pourvoi devant le Conseil d’Etat, et le ministère fera peut-être de même. Nous nous penchons donc sur une décision de justice non définitive, et ce qui intéresse surtout, au delà du cas du juge B., c’est la capacité à délivrer des enseignements généraux sur le fonctionnement de la justice.
DES FAITS
D’abord les faits, avant la qualification juridique. Le constat, c’est la mauvaise qualité du travail du juge. La vie de personnes a été massacrée par un travail négligent.
Tout commence là : il est désormais établi que le juge d’instruction a mal travaillé. Et c’est d’autant plus facile à dire quand il suffit de lire une décision de justice, qui en 15 pages très denses, PV après PV, détaille l’incroyable liste des manquements imputables au juge, et à lui seul. D’autres fautes ont été commises, par d’autres, mais les faits jugés par le CSM sont là, incontournables.
Je propose ici de regarder de plus près quelques manquements significatifs. C’est forcément un peu long, mais sinon on en reste aux a priori.
Regardons le premier grief, relatif aux conditions d’audition des enfants.
Le CSM donne d’abord la vision générale :« Si l'on ne peut méconnaître la difficulté d'entendre des mineurs très jeunes, ayant, souvent, une faible capacité de concentration, de compréhension et de verbalisation, sur des faits d'abus sexuels dont ils auraient été victimes, d'autant plus que les accusations étaient reprises par certains adultes et que les conclusions des experts psychologues avaient conforté, sinon validé, les déclarations des enfants, il n'en demeure pas moins que l'examen des auditions des mineurs révèle, de la part du juge d'instruction, d'incontestables négligences, maladresses et défauts de maîtrise dans les techniques d'audition et d'interrogatoire.
Le CSM passe ensuite à la revue de détail. Dix auditions avec des « contradictions flagrantes » que le juge n’a pas approfondies. Lisez avec attention, et mesurez le temps, les réflexions, les paroles, que représentent ces dix auditions. Mesurez aussi le désarroi de personnes mises en cause, depuis le fond de leur prison. Tout ce procès, c’est la parole des enfants. Or, qu’a fait le juge : il a accumulé les déclarations contradictoires sans en tire aucun enseignement, nous dit le CSM.
Par exemple le cas de Frank Lavier. L’enfant D.D. dit le 7 mars que Franck Lavier n’y était pour rien, et le 13 décembre le met en cause pour viol. Le juge ne fait pas le lien entre les deux PV : « Attendu qu'il en est ainsi pour les auditions des enfants D.D., réalisées les 13 décembre 2001 et 11 janvier 2002, J.D., les 13 novembre 2001, 6 mars 2001 et 27 mars 2001, K.D., les 18 janvier 2001 et 14 décembre 2001, A.B., les 15 février 2001 et 27 mars 2001 et A.L., le 22 mai 2002 ; qu'il résulte de l'examen du dossier que le juge d'instruction n'a pas relevé, ni approfondi, au cours de ces auditions ou postérieurement, des contradictions flagrantes dans les déclarations de ces mineurs, alors qu'il disposait des éléments lui permettant de le faire, se contentant d'accumuler les déclarations, sans y apporter une quelconque approche critique ; qu'ainsi D.D., dans son audition des 13 décembre 2001, mettait en cause Franck Lavier comme étant l'une des personnes l'ayant agressé sexuellement, alors que, le 7 mars 2001, il avait déclaré que les membres de la famille Lavier ne lui avaient rien fait. »
Même chose à propos de Thierry Dausque, qui le 6 mars « n’a rien fait, c’est sûr », et qui le 13 décembre se voit accuser de viol par sodomie. Réponse du juge : rien. Et attention : le CSM ne reproche pas au juge les contradictions des enfants, mais seulement de n’avoir fait aune démarche pour approfondir son travail, devant de telles incohérences : « Attendu que la même absence d'approfondissement se retrouve dans le cas du mineur J.D. qui, lors de son audition du 13 décembre 2001, désignait Thierry Dausque comme faisant partie des personnes l'ayant sodomisé et lui ayant imposé des fellations, alors que, sur présentation d'un album photographique le 6 mars 2001, il avait déclaré, désignant cette même personne : « je le connais, il vient chez ma marraine Monique, il ne fait rien, c'est sûr ».
On poursuit, et je suis désolé pour le sordide. Cette fois-ci, ce sont trois adultes accusés par une enfant de viol. Une expertise déposée le 17 janvier 2001 a dit que l’hymen de l’enfant était intact, ce qui est peu compatible avec un triple viol. Mais suivent deux auditions de l’enfant, des 15 février et 27 mars 202, où la jeune fille accuse nommément trois hommes de viol en réunion. Réaction du juge : rien ! « Attendu qu'une expertise médicale avait été déposée le 17 janvier 2001, mentionnant l'intégrité de la membrane hyménale d'A.B., M. Burgaud n'a pas cherché à faire expliciter plus avant les accusations de cette mineure de neuf ans dans son audition du 27 mars 2002, au cours de laquelle celle-ci a réitéré ses précédentes déclarations du 15 février 2002, où elle avait désigné trois hommes comme lui ayant fait subir, en même temps, les sévices sexuels précités. »
Et le CSM poursuit avec une série d’autres auditions d’enfants.
Allons-y maintenant de quelques coups de loupe sur d’autres griefs.
Sur un alibi établi par le dossier, mais non pris en compte : « Attendu qu'un mineur victime ayant indiqué aux policiers que Pierre Martel avait commis des faits d'agression sexuelle sur son frère D.D., le jour de la fête des mères de l'an 2000, les policiers ont demandé à cet adulte son emploi du temps du 28 mai 2000 ; qu'ils ont ensuite vérifié, lors d'investigations réalisées le 7 juin 2002 les déclarations du couple Martel, qui se sont révélées exactes sur le fait que, ce jour là, le mari avait disputé une compétition de golf et que ce couple avait reçu sa famille ; que le magistrat instructeur n'a pas exploité ces éléments avant de délivrer un avis de fin d'information. »
Sur les conditions de la notification de circonstances aggravantes : « Attendu qu'ayant notifié à Franck Lavier, Dominique Wiel, Daniel Legrand et Therry Delay les 6 mai 2002, 15 mai 2002, 23 mai 2002 et 27 mai 2002 la circonstance aggravante d'actes de torture ou de barbarie, le juge d'instruction a indiqué qu'il ressortait des investigations que les deux mineurs D. avaient été violés à l'aide d'un chien ; que Myriam Badaoui avait effectivement fait de telles déclarations divergentes de celles des deux mineurs concernés, l'un ayant parlé d'actes commis, non sur lui, mais sur deux chats et sur son chien, chez lui, ainsi que sur des animaux à la ferme, tandis que l'autre enfant avait parlé de cochons, vaches, chèvres et avait dit avoir été sodomisé par un mouton ; que ces auditions n'ont, pas davantage, fait l'objet de relances et approfondissements de la part du magistrat instructeur. »
Notification de circonstances aggravantes d'actes de torture ou de barbarie… Il y a tout de même de quoi être glacé, non ?
Sur la méthode du juge affirmant devant les mis en examen disposer de versions concordantes, ce qui est faux : « Attendu que dans la confrontation entre Karine Duchochois du 27 février 2002 et ses trois accusateurs, le juge d'instruction a opposé à celle-ci la précision et la concordance des déclarations de Myriam Badaoui et d'Aurélie Grenon ; qu'en réalité, Myriam Badaoui venait de dire qu'A.B. et A.L. avaient été violées par Karine Duchochois, ce qu'Aurélie Grenon ne disait pas. »
Encore la non prise en compte de précisions basiques : « Lors d'une confrontation avec son mari du 16 janvier 2002, Myriam Badaoui avait soutenu que son époux lui avait fait vendre un caméscope après que le juge des enfants lui avait retiré, par ordonnance du 28 décembre 2000, le droit de visite sur ses enfants ; que la preuve de la vente de ce matériel, intervenue le 11 octobre 1999, était cotée au dossier bien avant la confrontation ; que cette anomalie, qui pouvait remettre en cause la sincérité des déclarations de Myriam Badaoui, n'a pas été relevée par le juge d'instruction à un quelconque moment. »
Bon, on peut poursuivre, mais vous avez le texte complet chez Maître Eolas, et j’ai repris l’intégralité des éléments retenus par le CSM. Nous avons parlé de cette affaire, et il faut prendre le temps de lire tout le document.
LES PISTES POUR ANALYSER
D’abord, qu’est-ce qu’une faute disciplinaire pour un magistrat du siège ?
A l’inverse du droit pénal, le droit disciplinaire ne connaît pas le principe de légalité des incriminations. C’est au juge de qualifier. La seule référence légale, à savoir l'article 43 de l'ordonnance n° 58-1270 du 22 décembre 1958 portant statut de la magistrature, est d’ailleurs un authentique fourre-tout : « Tout manquement par un magistrat aux devoirs de son état, à l'honneur, à la délicatesse ou à la dignité, constitue une faute disciplinaire.
Le CSM a depuis fait sa jurisprudence : « Attendu que, s'il n'appartient pas à la juridiction disciplinaire d'apprécier, a posteriori, la démarche intellectuelle du magistrat instructeur dans le traitement des procédures qui lui sont confiées, les carences professionnelles de celui-ci peuvent, néanmoins, être sanctionnées lorsqu'elles démontrent, notamment, une activité insuffisante, ou un manque de rigueur caractérisé, de nature à nuire au bon déroulement de l'information, un défaut d'impartialité, de loyauté ou de respect de la dignité de la personne. »
Tout ce qui relève de l’appréciation personnelle, la part du jugement, n’est pas en cause. Les avocats, ou le Parquet, doivent exercer les voies de recours, éventuellement soulever des nullités. Il en va différemment de la méthode. C’est un peu comme le diagnostic médical : se tromper n’est jamais, en soi, cause de responsabilité. En revanche, si la méthode n’est pas bonne…
Ensuite déblayons le terrain par les questions qui n’en sont pas.
Les fautes du juge ont été très partagées. Oui, et alors ? Ca les fait disparaître ?
La faute des autres justifie-t-elle la mienne ? Plus de soixante magistrats ont travaillé sur cette affaire, avec des ramifications jusqu’au ministère. Lors second procès, le Parquet a encore soutenu des accusations qu’on sait aujourd’hui bidonnées. Un examen aussi attentif de l’action de ces 60 magistrats permettrait de savoir ce qu’il a été des mécanismes de ce dévissage généralisé, en distinguant les appréciations intellectuelles, hors d’atteinte du disciplinaire, et les méthodes de travail. Hélas, l’engagement de ces soixante procédures n’est pas d’actualité. Le ministère a voulu faire un carton sur le juge B., qui avait été désigné par l’opinion. Il aurait été bien intéressant de creuser du côté de la chambre de l’instruction ou du procureur général de Douai.
Deux remarques :
- Le juge est le bouc émissaire de rien du tout. Il a commis des fautes, et ne peut d’abriter derrière les fautes des autres.
- Je constate qu’en l’état actuel du droit, il est impossible de juger un dysfonctionnement judiciaire collectif d’une telle ampleur. Le genre de faille qui laisse de traces pendant longtemps.
La faute doit être appréciée indépendamment de ses conséquences.
La faute disciplinaire doit être appréciée en elle-même, et non en fonction de ses effets. Le fait qu’elle ait été corrigée ou au contraire entérinée par d’autres ne retire rien à l’analyse du comportement individuel. Je ne reproche pas non plus au juge d’instruction des détentions provisoires ordonnées par le juge des libertés et de la détention, et confirmées par la chambre de l’instruction. Mais plaider que la faute de l’un efface celle de l’autre, c’est demander l’irresponsabilité. Une conception affaiblie de l’honneur professionnel.
La sanction disciplinaire n’est pas l’affaire des justiciables-victimes.
« Une réprimande, ce n’est pas assez ». Dites-le si c’est votre avis, mais en droit, le plaignant n’est pas partie à la procédure disciplinaire et n’a aucun droit de regard sur la sanction. Les faits sont établis, et de manière explicite : c’est que pouvaient attendre les justiciables. La gravité de la sanction est l’affaire de la juridiction. Le Conseil d’Etat pourra casser la décision pour des raisons de forme, ou sur la qualification des fautes, ou sur la question de l’amnistie, mais il ne pourra contrôler l’appréciation de la gravité de la sanction. C’est toute la notion d’indépendance du juge. Il s’agit là d’une règle constante à tout le droit disciplinaire, dès lors que la décision est rendue par une juridiction, comme le CSM ou une juridiction ordinale. Désolé, mais réprimande ou suspension, ce n’est pas le débat.
LA DÉCISION DU CSM
J’en viens lors à ce qu’a jugé peut le CSM.
1. Le juge a fait un très mauvais travail
Je ne donne aucun crédit aux travaux de la Commission parlementaire qui a travaillé sans méthode, et en véhiculant d’inacceptables approximations. Mais, en revanche je vois mal comment remettre en cause les faits retenus par le CSM. D’ailleurs, après cette décision, la défense du juge a dénoncé la sanction, la présence irrégulière d’un magistrat, les imputations politiques, mais je n’ai pas entendu grand’chose pour contester les appréciations factuelles du CSM. Il faut dire qu’a été fait un travail particulièrement fouillé, PV après PV.
Pour l’observateur extérieur, la grande question est : comment de telles erreurs d’appréciation peuvent-elles avoir lieu ? La parole de l’enfant est-elle toujours crédible ? Comment se défendre quand c’est la parole de l’un contre la parole de l’autre ? Non, répond la décision du CSM : un travail attentif et professionnel aurait du conduire à mettre fin à cette affaire bien avant le second procès d’assises.
2. Les justiciables-victimes réhabilitées
Le procès n’a pas seulement sombré parce que l’accusatrice et les enfants ont reconnu, lors du procès d’appel, qu’ils avaient menti. Après tout, celui qui ment dans un sens peut mentir dans l’autre. La décision du CSM montre que si le procès a sombré, c’est parce que factuellement, il ne tenait pas la route. Très sincèrement, je ne pensais pas, avant d’avoir lu la décision du CSM, qu’on en était à ce point-là d’incohérences dans l’accusation. C’est paradoxalement un enseignement très positif de cette décision : un travail rigoureux, avec des méthodes éprouvées, aurait évité le massacre des innocents.
3. Le CSM respecte la fonction juridictionnelle, car il ne pointe que des fautes de méthode.
Cette décision serait un dangereux précédent car elle ouvrirait la porte à un contrôle du ministère de la justice, autorité administrative, sur les appréciations des juges. Non. Le CSM prend soin de marquer la limite entre liberté de jugement, contrôlée par l’exercice des voies de recours, et méthode de travail. Et il ne s’agit pas d’un « cousu main spécial Burgaud ». Il suffit pour s’en convaincre de lire la jurisprudence disciplinaire du CSM, publiée sur le site du CSM, rubrique manquements à l’état. J’ajoute que le CSM n’a pas été sévère. S’agissant des expertises, il ne dénonce pas comme négligence des notifications plus de 8 mois postérieures à la réception du rapport, en retenant la charge de travail. Or, une notification, c’est un courrier recommandé AR, et donc trois fois rien. La démarche qualité, qui est le moteur de nombre de service publics, n’est pas ressentie par le CSM comme une priorité, et je le déplore.
LA OU JE NE SUIS PAS D’ACCORD
Mon désaccord s’exprime sur trois plans, et je veux essayer de réfléchir au delà du cas du juge B.
1. Une décision qui reconnaît le droit de commettre des fautes de négligence.
C’était l’analyse du ministère, et ça a été celle du CSM : chacune de ces négligences n’est pas fautive, mais l’accumulation prend un caractère fautif. Lisons le CSM : « Attendu que, toutefois, si chacun de ces défauts de maîtrise, ces négligences ou ces maladresses, ne constitue pas, pris séparément, un manquement susceptible de recevoir une qualification disciplinaire, leur accumulation constitue, en l'espèce, un manque de rigueur caractérisé, de nature à nuire au bon déroulement de l'information et, en conséquence, un manquement, par M. Burgaud, aux devoirs de son état de juge d'instruction. » Si je fais référence aux faits listés dans 15 des 20 pages de la décision, il s’agit bien chaque fois de fautes de négligence.
En matière disciplinaire, la plainte laisse le juge libre des qualifications. Le CSM a repris l’analyse du ministère, ce qui est donc un choix délibéré, qui me laisse plus que critique. Car si on ne sanctionne ni les maladresses, ni les négligences, c’est donc qu’on reconnaît un droit aux maladresses et aux négligences. Des négligences qui ne sont pas des fautes professionnelles… . Pour ma part, je pense que la limite devrait être mieux défendue : le droit à l’erreur, oui, le doit à la négligence, non. Des erreurs, c’est à dire une démarche attentive et prudente mais qui se révèle inappropriée, c’est notre lot commun. Pour instruire une affaire comme Outreau, il a de quoi se tromper, pas de doute, et toute erreur n’est pas fautive, dès lorsque la démarche a été attentive et diligente. Mais quand l’erreur est le fruit d’une démarche imprudente ou négligente, ce n’est plus une erreur, c’est une faute. Alors, ne sanctionner les fautes que s’il y a accumulation… je ne suis pas d’accord. Et pour le coup, il ne faut pas s’étonner si l’opinion ne peut comprendre que ceux qui ont fonction de juger, s’octroient un droit à la négligence. Gros malaise.
2. Une décision qui survalorise la technique et minimise le devoir d'humanisme.
Le juge disciplinaire doit, à partir des faits, porter une appréciation globale sur la personne et sa capacité à exercer les fonctions qui lui ont été confiées. C’est une saisine in hominem : la plainte provoque un examen global de la situation d’un professionnel. C’est la jurisprudence, depuis un arrêt de la Cour de cassation de 1858, toujours confirmée depuis. Et je dois dire ici ma profonde déception devant la décision du CSM, car l’aspect humain n’est pas abordé. La question n’est pas de savoir si le juge avait l’intention de briser les droits de la défense, ou de maintenir abusivement des charges inexistantes. Bien sûr que c’est un honnête homme, et bien sûr qu’il n’était pas mu par l’intention de nuire aux mis en examen.
Non, la vraie question est de savoir si ce juge a su regarder un mis en examen comme un innocent. Les témoignages des innocentés d’Outreau sont passés par pertes et profits, et ça, c’est plus que regrettable. Tout démontre l’incapacité du juge à adopter la distance nécessaire, à considérer les propos des justiciables comme ceux d’être raisonnables. A mon avis, ce qui a le plus gêné le juge, c’est son incapacité à douter. Or, ce qui fait la qualité d’un juge, c’est sa capacité à douter, et son savoir-faire pour adopter une méthode rigoureuse du doute. La décision du CSM, ici, manque cruellement de dimension humaine.
Une faute technique ou une accumulation de fautes techniques,… ce n’est pas le sujet. Le juge n’est pas un « mauvais » parce qu’il ne connaît pas la technique de son métier. Tout montre qu’il la connaît très bien. Ce qui est en cause, c’est la personnalité. Ce qui ressort de l’analyse du CSM, mais hélas dont le CSM ne dit mot, c’est l’incapacité à établir un juste rapport avec les gens. C’est cette sorte de basculement qui fait qu’un juge, honnête et compétent, place la qualité être humain derrière la qualification juridique de mis en examen. Prisonnier de sa procédure, devenu supporter de son dossier, le juge ne parvient plus à entendre certains mots, ne sait plus voir le visage de ceux qui lui parlent. Une fois ce seuil passé, tout devient possible, et surtout le pire. Là est la cause réelle des fautes. C’est ce qu’il fallait analyser pour dire s’il y a avait faute ou non. Le CSM n’en dit rien, mais les propos concordants des personnes en cause ne plaident pas en faveur du juge.
Ne nous racontons pas d’histoire : il y a quelque chose de profondément violent dans la décision judiciaire, et il est très difficile pour le juge de revêtir de l’armure indispensable à l’exercice de son devoir, et de conserver sa bienveillance humaine, voire sa bonhomie. Que le juge B. soit un professionnel investi, un bon technicien, un homme sympathique et honnête, ne fait pas de doute, mais ce n’est pas le problème. Non, la question est d’apprécier ce processus qui fait qu’un juge, devant l’épreuve, se referme, blinde ses certitudes et dérape dans l’arbitraire tout en étant persuadé d’avoir rempli au mieux sa mission.
Le CSM a raté ce rendez-vous de la compréhension, mais il y a plus préoccupant. J’ai eu trop souvent l’impression que l’ENM et le poids de la hiérarchie judicaire encouragent le jeune magistrat à privilégier en lui le technicien efficace, comme un viatique destiné à dépasser le poids quasi surhumain de sa mission : juger ses semblables. Je retrouve hélas, de manière très perturbante, ce redoutable travers dans la décision du CSM.
3. Devant l’amnistie, l’honneur professionnel est apprécié de manière trop restrictive.
La loi amnistie les fautes professionnelles, sauf celles qui sont contraires à « l’honneur professionnel ». Qu’est-ce que « l’honneur professionnel » ? Vaste débat, et le Législateur ne dit rien de plus. C’est un cas assez unique : le Législateur donne mission au juge de définir la limite de la loi. Un exerce pas banal, mais qu’on retrouve dans toutes les lois d’amnisties. C’est dire aussi que les références jurisprudentielles sont nombreuses. Notamment, pour la jurisprudence, il n’existe aucune faute qui par nature soit amnistiable ou non. Il faut chaque fois construire un raisonnement en conciliant la volonté amnistiante du législateur et le maintien des sanctions contre les faits les plus significatifs.
Reprenons la motivation du CSM. « Attendu que, si l'analyse des griefs précédemment examinés a permis de constater que des négligences, des maladresses ou des défauts de maîtrise ont été commis, à plusieurs reprises, par M. Burgaud, dans l'exercice de ses fonctions de juge d'instruction, il n'a porté atteinte, ni aux droits de la défense, ni au respect du principe du procès équitable ; qu'il n'a pas commis de manquement à l'honneur ; que, pas davantage, les pratiques critiquées prises séparément, ni même de façon accumulée, ne portent atteinte à la probité ou aux bonnes moeurs ; que, dès lors, les agissements et pratiques, qui pourraient être retenus à son encontre comme constitutifs d'une faute disciplinaire et qui seraient antérieurs au 17 mai 2002, sont amnistiés ».
Seul critère explicité : « Il n'a porté atteinte, ni aux droits de la défense, ni au respect du principe du procès équitable ». Or, je relève la multiplicité des négligences, des maladresses, la gravité des approximations, la faille grave dans la méthode notamment en présentant comme acquis des faits qui ne l’étaient pas. Vieille méthode ? Oui, et alors ? Est-ce une méthode conforme à l’honneur professionnel ? Surtout quand elle répétée ? Et reprenons la liste des faits qualifiés de négligences ? Plus d’une centaine de points, dont certains qualifiés de graves. Alors dire, comme ça, en trois mots, que c’est amnistié ne me convainc pas, quand il sati de dire ce qui relève de l’honneur professionnel. Et puis il y tout le volet personnel, cet autoritarisme fiévreux, qui cache une incapacité à considérer une personne en difficulté… Pour moi, un juge, c’est pile l’inverse. Si le déshonneur profession ne commence qu’avec l’intention de nuire, il y a de quoi s’inquiéter.
J’ai dit souhaiter un pourvoi du ministère sur la question de l’amnistie, et donc de l’honneur professionnel. Nous verrons.
* * *
Alors, tout ça en un mot ? CSM, trop technique, est passé, je crois, à côté de la question principale, inhérente à l’idée de justice : l’humanité. Le sens du rapport humain. Peut-être pas pour condamner, mais à coup sûr pour comprendre.