Ca s’appelle le rugby juridique : dans le dossier des mères porteuses, la Cour de cassation passe la balle au Législateur. Par son arrêt du 18 décembre 2008, la Cour de cassation fait semblant de renvoyer l’affaire au Parquet. En réalité, c’est une feinte, et la Cour fait une magnifique passe arrière au Parlement. Cet arrêt qui semble rejeter la question « mères porteuses » va sans doute conduire à accélérer leur légalisation.
Regardons en détail.
L’affaire
C’est une histoire de dix ans. En 1998, un couple de français installés en Californie cherche à avoir des enfants et n’y parvient pas. Les examens parlent : l’épouse souffre d'une malformation congénitale rendant impossible toute gestation. Maternité impossible… mais naissance et filiation possibles avec la gestation pour autrui, qui est légale là-bas. En 2000, Mary, une Américaine rencontrée en Californie, accepte de porter l’enfant après une fécondation in vitro : don d’ovocyte et sperme du mari.
Les démarches sont entreprises pendant la grossesse, et le 14 juillet 2000 un jugement de la Cour suprême de Californie dit que le mari et l'épouse seront « père et mère des enfants à naître », le mari étant reconnu comme père génétique, l'épouse comme « mère légale ».
En octobre 2000, naissance en Californie de jumelles, et les actes de naissance sont établis selon le jugement rendu : le mari et la femme sont le père et mère.
Les parents demandent la transcription des actes de naissance des enfants sur les registres français au consulat général de France à Los Angeles, et les embrouilles commencent. Impossible car la mère ne produit pas un « certificat d'accouchement ».
Des années plus tard, le couple rentre en France. Les enfants sont américains, et ont des passeports américains pour les enfants, celles-ci, nées aux Etats-Unis, bénéficiant de la nationalité américaine.
La procédure française
Au vu du jugement californien, les parents obtiennent la retranscription des actes de naissance des jumelles sur les registres du service central d'état civil. Pas d’accord, dit le procureur de la République de Créteil, où vit désormais la petite famille franco-américaine, qui assigne le couple devant le tribunal de grande instance aux fins d'obtenir l'annulation de cette transcription.
Le tribunal de grande instance n’a pas la même lecture de « l’ordre public français ». Il déclare l'action du ministère public irrecevable : il faut tirer les conséquences de la validité du jugement américain et des actes dressés en Californie. Et la Cour d’appel de Paris, qui n’est pas exactement une association de joyeux lurons, confirme en mentionnant l’intérêt supérieur de l’enfant : « la non-transcription des actes de naissance aurait des conséquences contraires à l'intérêt supérieur des enfants qui, au regard du droit français, se verraient privés d'acte civil indiquant leur lien de filiation, y compris à l'égard de leur père biologique ».
Pourvoi du Parquet, soutenant que « le ministère public peut agir pour la défense de l'intérêt public à l'occasion de faits qui portent atteinte à celui-ci », en l'occurrence le recours à une convention de mère porteuse.
Bien d’accord, dit la Cour de cassation dans son arrêt du 18 décembre : « Les énonciations inscrites sur les actes d'état civil ne pouvaient résulter que d'une convention portant sur la gestation pour autrui, de sorte que le ministère public justifiait d'un intérêt à agir en nullité des transcriptions. »
Elle dit quoi exactement, la Cour de cassation ?
La question traitée, c’est la recevabilité de l’action du procureur à l’encontre de la retranscription d’actes de filiation établis à l’étranger. Le fait que leur validité ne soit pas contestable ne veut pas dire qu’ils ne sont pas contraires à l’ordre public français. Ceux qui croyaient que tous les dangers pour la famille venaient des pays musulmans doivent réorienter leur longue vue. Et oui, pour la douce mamie qui sommeille dans la France, le danger, c’est de partout.
Mais qu’est-ce donc que cet ordre public ! Cet ordre public… c’est la loi, répond la Cour de cassation, qui vise l’article 16-7 du code civil, introduit avec les lois de bioéthique de 1994 : « Toute convention portant sur la procréation ou la gestation pour le compte d’autrui est nulle. » Ordre public toujours, avec l’article 227-12 du code pénal, sanctionnant de six mois d'emprisonnement et de 7 500 € d'amende « le fait de s'entremettre entre une personne ou un couple désireux d'accueillir un enfant et une femme acceptant de porter en elle cet enfant en vue de le leur remettre ».
Bref, la cour de Paris s’était laissée attendrir. L’intérêt supérieur de l’enfant, avaient dit les juges. Oui, certes, répond la Cour de cassation, mais l’intérêt de l’enfant ne peut pas dissoudre l’article 16-7. La Cour se braque devant les réalités de fait : tout ce qui passe de bien dans cette famille ne peut suffire à ouvrir une brèche dans le droit, la loi ayant clairement dit que l’enfant n’a de mère que celle qui l’a porté. Circulez.
Que dira la cour d’appel de Paris ?
L’affaire va revenir devant la cour de Paris. L’action du procureur est recevable, c’est-à-dire qu’il va falloir se prononcer sur le fond. Avec un petit défi pour les juges. Dès lors qu’une filiation heureuse mais non légale est jugée comme remettant en cause l’ordre public, ce qui nécessaire pour justifier l’intervention du procureur, comment la cour pourra-t-elle dire que l’intérêt de l’enfant s’épanouit en contrariété avec l’ordre public ? La marge me parait très mince et les juges risquent bien de voir manger leur chapeau,… euh leur toque.
Une provocation à légiférer
Vous suivez ? On continue, et accrochez vous : je suis prêt à parier que plus d’un magistrat de la Cour de cassation pense que l’intérêt de l’enfant est, dans cette affaire, de voir la retranscription admise. Parce que, entre nous, dans le cas de cette famille, l’intérêt des enfants est manifestement d’avoir un état civil français, qui corresponde à l’état civil américain, et au jugement rendu par la Cour suprême de Californie. De telle sorte, on voit entre la cour d’appel et la Cour de cassation deux approches. La première estime que, devant l’enfant qui est là, la prise en compte de son intérêt supérieur permet d’admettre une exception à la loi, avec cette perspective : s’agissant de la gestation pour autrui, le juge pourra, au cas par cas, et au vu des principes, définir progressivement un régime. Pour la Cour de cassation, les intérêts ne sont pas suffisants pour remettre en cause la loi. C’est au Législateur, s’il l’estime opportun, de fixer un nouveau cadre. Parce que, quoiqu’on en pense, la réponse est moins « pour » ou « contre », que « selon quelles modalités ? »
Questions au Législateur
Il faut d’abord dissiper un malentendu. L’expression « mère porteuse » prête à confusion. A l’origine, on ne connait qu’une seule situation : insémination plus ou moins artificielle de la mère porteuse, qui se trouvera mère biologique, mais non intentionnelle, et qui remet l’enfant à la mère intentionnelle. Tout change avec la fivette. L’enfant est fécondé in vitro à partir de gamètes provenant du couple, et la mère qui porte l’enfant n’est pas la mère biologique. Il est alors préférable de parler de « gestation pour autrui » (GPA). L’enfant est séparé de la mère qui l’a porté, mais qui n’est pas sa mère biologique.
Pour que la question soit honorablement traitée, il est préférable que ce soit le Législateur qui s’y colle. Et les points à trancher ne manquent pas. Quel âge pour les parents ? Quelle âge pour la mère porteuse ? Quel suivi médical ? Faut-il l’expérience d’un première grossesse ? Faut-il une formation ? Un examen psychologique ? Qui rédige les contrats ? Quid si les parents se séparent ? Quid si abandon de l’enfant par la mère intentionnelle ? Quelle indemnisation ? Quel statut pour les intermédiaires ? Quelle communication publique ? Quel mode d’établissement pour la filiation de l’enfant ?
Il va falloir entrer dans ces problématiques. Il est sans doute plus simple est de se parer des grands principes, pour proclamer « non, jamais »,… en sachant que c’est donner la prime à des réseaux plus ou moins sympathiques, et aux prises en charge à l’étranger, pour ceux qui en ont les moyens. Ce d’autant plus que les catastrophes psychologiques et éducatives annoncées ne se retrouvent pas.
Exemples à l’étranger
De fait, nombre de pays ont légitimé, en les encadrant, ces pratiques : Grande-Bretagne, Belgique, Grèce, Pays-Bas, Danemark, Finlande, Ile Maurice, certains Etats des Etats-Unis et du Canada, Nouvelle Zélande, Afrique du Sud... L’Espagne s’oriente vers une réforme.
La filiation est régie par une loi de 1990. Pour éviter l’adoption de l'enfant, la loi permet de saisir le juge pour se faire reconnaitre comme parents. Il faut réunir certaines conditions, en particulier que le couple soit marié et que l'enfant soit génétiquement issu d'au moins un des deux membres du couple. La requête est introduite après la naissance et un délai de six semaines est observé avant que la mère porteuse puisse donner son accord. En cas d'accord, un nouvel acte de naissance est établi.
Le Législateur s’échauffe
Du coté du Législateur, ça a bougé ces derniers temps, avec une commission sénatoriale dont Henri de Richemont, UMP, est le rapporteur, et Michèle André, PS, la présidente. Son rapport, déposé son juin 2008 estime hypocrite l’interdiction légale d’un procédé qui se répand, et cherche à apporter des réponses aux problèmes posés, avec trois préoccupations :
- le respect des principes de non-patrimonialité et de l'indisponibilité du corps humain et de l'état des personnes ;
- la volonté d'empêcher l'exploitation des femmes démunies et la marchandisation à travers la gratuité de la GPA et la notion de don de soi ;
- gérer l'incertitude qui pèse sur les conséquences sanitaires et psychologiques pour l'enfant à naître et la femme qui l'a porté.
Au cours de l’année 2009, le parlement doit réviser les lois bioéthiques. C’est l’occasion d’ouvrir dans un esprit de responsabilité le dossier de la gestation pour autrui, et de publier de belles lois que la Cour de cassation se fera un plaisir d’appliquer.